Dans les cimetières militaires qui jalonnent les Flandres, l’Artois et la Somme, ainsi que sur le littoral de la Côte d’Opale, des stèles perpétuent le souvenir de femmes tombées sous les bombes ennemies en servant leur pays. Afin de rendre hommage à ces témoins silencieux d’un engagement longtemps resté en marge des grands récits de guerre, la bibliothèque de l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO) à Boulogne-sur-Mer accueillera de février à avril 2026 l’exposition itinérante « Femmes combattantes », prêtée par la Direction de la Culture du Ministère des Armées et des Anciens Combattants. Cette manifestation invite à une réflexion approfondie sur la mémoire de ces femmes et de leurs combats, tant en qualité de participantes directes aux conflits que comme figures essentielles des luttes sociales et politiques.
Le colloque international « Femmes combattantes en France, Grande-Bretagne et Irlande dans la première moitié du XXe siècle » se propose de questionner et d’élargir notre compréhension de la notion de « femme combattante ». Quelle(s) définition(s) lui donner ? L’acception doit-elle se limiter à celles qui ont pris les armes sur un théâtre d’opérations militaires ou inclure celles qui, par leur engagement dans des luttes pour les droits, ou par des contributions indirectes aux conflits, méritent également une forme de reconnaissance ? À travers des expériences vécues en France et dans les îles britanniques, ce colloque propose d’explorer les multiples formes d’engagement des femmes et les obstacles rencontrés pour obtenir l’appréciation de leurs pairs et une place légitime dans les mémoires collectives de chaque nation.
Marquée par deux guerres mondiales, des luttes pour l’indépendance ou d’affranchissement de la tutelle masculine, la première moitié du XXe siècle constitue le cadre temporel de cette réflexion. Ces décennies ont vu les femmes se mobiliser de façon novatrice non seulement dans les conflits militaires, mais aussi dans les luttes pour les droits civiques et sociaux, souvent en marge des récits officiels et militaires. La question de la reconnaissance de leur implication dans les mémoires collectives, souvent effacée ou minimisée, sera au cœur du colloque. Les mécanismes historiques ayant conduit à leur invisibilisation seront interrogés, mais aussi les processus de réhabilitation et de commémoration qui les ont remplacés. Le colloque s’articulera autour de plusieurs axes qui donneront voix à une pluralité de perspectives disciplinaires.
Le premier axe s’intéresse à la manière dont les femmes combattantes ont été représentées dans les récits historiques, la littérature et les arts des trois aires géographiques étudiées. Alors que certaines femmes ont été oubliées ou ignorées dans les récits officiels, d’autres ont été réhabilitées, parfois célébrées. Constance Markievicz (1868-1927), figure emblématique du soulèvement irlandais de 1916, Vera Lynn (1917-2020), chanteuse qui animait une émission radiophonique hebdomadaire destinée à réconforter les forces armées britanniques pendant la seconde Guerre mondiale, Madeleine Riffaud (1924-2024), figure de la résistance française engagée dans des opérations contre l’occupant nazi, sont autant d’exemples qui illustrent cette dimension. Des études comparatives entre la France, la Grande-Bretagne et l’Irlande permettront de mieux comprendre comment les lettres et les arts ont pris en compte, ou non, l’engagement féminin. Les témoignages, biographies et autobiographies des femmes combattantes pourront particulièrement être étudiés pour mettre en lumière les tensions entre la mémoire individuelle et l’effacement collectif.
Le deuxième axe abordera les évolutions juridiques et administratives liées à la reconnaissance du combat des femmes, notamment en ce qui concerne l’octroi de médailles, de pensions et les droits des vétérans. En France et dans les îles britanniques, les femmes ont souvent dû faire face à des résistances, voire à une exclusion, de la part des institutions militaires et politiques. Dans quelle mesure leur lutte initiale s’est-elle accompagnée d’un second combat pour l’égalité des droits ? Le rejet, au motif qu’elle était une femme, de la demande de pension formulée en 1925 par Margaret Skinnider (1893-1971), révolutionnaire irlandaise grièvement blessée pendant le soulèvement de Pâques de 1916, est représentatif des résistances institutionnelles et des inégalités de reconnaissance entre vétérans de sexes différents. Elle ne recevra sa pension qu’en 1938.
Le troisième axe explorera les politiques, l’héritage monumental et l’intégration du combat des femmes dans les commémorations. Dans les paysages mémoriels, les monuments, statues et plaques dédiés aux femmes sont parfois invisibles ou marginalisés. Une analyse esthétique et symbolique de ces représentations permettra de questionner leur forme, leur fonction et leur place dans l’espace public. Malgré le retour des restes mortels d’Edith Cavell (1865-1915) et l’organisation de funérailles nationales à l’abbaye de Westminster en 1919, la statue de l’infirmière exécutée par les Allemands pour avoir aidé des soldats alliés à fuir, érigée dès 1920 à Londres, n’insiste-t-elle pas davantage sur ses qualités de soignante et de martyre que sur son rôle actif dans la résistance ? D’autres femmes ayant participé aux efforts de guerre ou aux luttes pour l’égalité ont vu l’expression de leurs actes dans la statuaire reléguée au second plan. Les études de cas concernant des projets monumentaux dédiés à des figures féminines emblématiques viendront enrichir cette réflexion sur la place des femmes et de leur combat dans la mémoire collective.
Le quatrième axe interrogera les identités et représentations transnationales des femmes combattantes. En quoi les parcours de femmes engagées dans des actions de résistance, de lutte pour l’indépendance ou dans les guerres des grandes puissances présentent-ils des parallèles ou des spécificités ? Si les engagements de certaines femmes ont été marqués par des contextes historiques et culturels propres à leur pays, d’autres ont transcendé les frontières, comme semblent l’indiquer la réception à titre posthume par Louise de Bettignies (1880-1918) de la croix de la légion d’honneur, la croix de guerre 14-18 avec palme, de la médaille militaire anglaise et de sa nomination en qualité d’officier de l’ordre de l’empire britannique. Par ailleurs, des luttes de femmes françaises, britanniques ou irlandaises ont-elles influencé celles de combattantes des deux autres pays ? À travers les réécritures historiques et les débats du XXe siècle, il s’agira aussi de voir comment ces femmes ont été intégrées dans les politiques mémorielles locales, nationales et internationales.
Enfin, un cinquième axe interrogera les possibilités de création ou de développement d’une forme de tourisme de mémoire centrée sur les figures de femmes combattantes. Si de nombreux sites commémoratifs mettent en avant le rôle des combattants masculins, comment intégrer pleinement la contribution féminine dans les circuits de tourisme historique et mémoriel ? Les cimetières militaires, plaques commémoratives et musées pourraient-ils constituer un point de départ pour une redécouverte de ces figures oubliées ? Des stèles d’infirmières de la Première Guerre mondiale ou des mémoriaux consacrés à des résistantes en France ou outre-Manche pourraient-ils inspirer des initiatives plus larges visant à mettre en lumière ces femmes dont l’engagement a marqué l’histoire ?
Ce colloque, qui se tiendra en français et en anglais, entend offrir un espace de réflexion critique et transnational sur la mémoire des femmes combattantes, leur place dans l’histoire et leur héritage. L’objectif est de contribuer à une meilleure reconnaissance de leur rôle dans les conflits du XXe siècle, tout en soulignant les enjeux de leur mémoire dans la société actuelle.